Brexit 1.0 : des scientifiques ont trouvé des preuves de la séparation originelle des îles britanniques de l’Europe continentale

Brexit 1.0 : des scientifiques ont trouvé des preuves de la séparation originelle des îles britanniques de l’Europe continentale


Des chercheurs de l’Observatoire royal de Belgique et de l’Université de Gand, en collaboration avec des collègues anglais et français, rapportent ce mardi 4 avril 2017 dans Nature Communications les preuves sur la manière dont la Grande-Bretagne s’est séparée de l’Europe continentale il y a moins de 450.000 ans. Le processus, produit en deux phases d’érosion, est causé par le débordement d’un lac glaciaire suivi d’inondations catastrophiques. Selon le professeur Sanjeev Gupta de l’Imperial Collège de Londres, « sans cet événement catastrophique, la Grande Bretagne serait encore une partie de l’Europe continentale. C’est le Brexit 1.0 – le Brexit pour lequel personne n’a voté.»

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Vue d’artiste du passage terrestre qui reliait l’Angleterre à la France (Crédit: Imperial College London/Chase Stone). Ceci est une illustration de ce à quoi le passage terrestre entre l’Angleterre et l’Europe continentale pouvait ressembler avant la formation du Pas de Calais. L’avant-plan est situé là où se trouve aujourd’hui le port de Calais et l’Angleterre est dans le lointain. L’eau issue du lac proglaciaire, dans ce qui deviendra plus tard la mer du Nord méridionale, se déverse par-dessus le passage terrestre via de grandes chutes d’eau. C’est le début de la séparation de l’Angleterre et du continent européen.

La région de Pas-de-Calais il y a 500 000 ans

Jusqu’il y a environ 500.000 ans, alors que notre planète se trouvait dans une période climatique plus chaude séparant deux périodes glaciaires, l’Angleterre et l’Europe continentale étaient encore reliées par une bande de terre solidifiée par le sommet d’un plissement de craie. Les vestiges de cette racine crayeuse sont encore bien visibles en Angleterre (falaises de Douvres) et en France (Cap Blanc Nez).

Durant la période glaciaire qui a suivi, le niveau de la mer était environ 100 m plus bas qu’aujourd’hui et une immense calotte glaciaire couvrait une grande partie de la Mer du Nord de l’Angleterre à la Scandinavie. A cette époque, le Pas-de-Calais était à sec et devait ressembler à un paysage de toundra parcouru par quelques rivières comme actuellement en Sibérie.

A la fin de cette période glaciaire, l’eau de fusion de cette calotte, ainsi que celle amenée par les rivières d’Europe et d’Angleterre ne pouvait plus s’écouler vers le nord à cause de la présence de la calotte glaciaire. Comme elle était bloquée au sud par le barrage formé par cette bande de terre entre l’Angleterre et l’Europe continentale, un grand lac pro-glaciaire existait dans le sud de la Mer du Nord. L’hypothèse de l’existence d’un tel lac avait déjà été formulée il y a plus de 100 ans.

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Carte bathymétrique du Pas de Calais, sur laquelle on voit se détacher nettement une vallée, érodée dans la partie centrale du Détroit. Remarquons que quelques traces atténuées du passage terrestre sont encore visibles (Crédit: Imperial College London).

Un processus en deux phases

Les auteurs de l’étude actuelle montrent comment ce lac a d’abord débordé et généré de gigantesques chutes d’eau à l’origine de dépressions profondes observées dans la bathymétrie de la Manche. Ces dépressions, appelées Fosses Dangeard, sont creusées dans la roche jusqu’à plus de 100 m de profondeur avec un diamètre de plusieurs km et sont localisées au pied du pont naturel entre l’Angleterre et le continent, sept d’entre elles s’alignant des villes de Calais à Douvres.

Dans une deuxième phase, ces débordements ont progressivement érodé l’escarpement rocheux, l’affaiblissant et finalement causant sa disparition, ce qui a permis le déversement d’immenses quantités d’eau dans la Manche, créant un nouveau système de vallée appelé canal de Lobourg, creusé par des méga inondations traversant le Pas de Calais depuis le sud de la Mer du Nord.

La contribution belge

3-D perspective view of a cataract in the eroded valley in the central part of the Dover Strait. One can notice small erosion cavities created at the basement of the cataract. These data indicate that the erosion occurred through strong currents. (Credit: Imperial College London).

Vue en perspective 3-D d’un rapide dans la vallée érodée dans la partie centrale du Pas de Calais. On remarque que des petites cavités d’érosion se produisent à la base du rapide. Ces données sont une indication que l’érosion s’est opérée au moyen d’un courant très fort (Crédit: Imperial College London).

Les chercheurs du service de sismologie-gravimétrie de l’Observatoire royal de Belgique ont contribué à cette étude par la réalisation de deux missions de mesures géophysiques (sismiques, de réflexions et bathymétriques) dans le Pas de-Calais, en collaboration avec l’Université de Gand. Ces mesures ont été réalisées à bord du navire océanographique Belgica. Le but de ces campagnes était d’identifier et évaluer l’activité de la zone de failles responsable du grand tremblement de terre qui s’est produit dans la région en 1580 et dont la magnitude est évaluée à 6.0.

Sur base des données collectées, cette zone de faille a clairement été identifiée, mais l’évaluation de ses déplacements relatifs et de son activité nécessitait une connaissance de l’histoire environnementale récente du Pas-de-Calais. Comme les nouvelles données collectées avec le Belgica complétaient efficacement celles recueillies précédemment par les chercheurs des autres équipes anglaises et françaises contribuant à l’étude, leur mise en commun a permis de mieux comprendre les événements catastrophiques ayant conduit à l’ouverture du Pas-de-Calais.

Dr. Thierry Camelbeeck et Dr. Kris Vanneste, tous les deux chercheurs de l’Observatoire et co-auteurs de l’article, déclarent : « Ceci est un très bel exemple qui montre comment la recherche scientifique peut mener à des résultats inattendus, et aussi comment le croisement entre plusieurs disciplines scientifiques peut mener tout à coup vers de nouvelles connaissances ».

Données géophysiques qui représentent une coupe à travers le sous-sol du Pas de Calais. La coupe montre une dépression profonde qui s’est creusée par érosion dans la roche environnante. (Fosse A). Cette dernière a un diamètre d’environ 500 m et est comblée par des sédiments. Cette dépression est interprétée comme une ancienne cavité d’érosion. L’image est exagérée 7x dans le sens vertical. (Crédit: Observatoire royal de Belgique – Universiteit Gent)

« C’est le Brexit 1.0 »

Le Professeur Sanjeev Gupta du département des Sciences de la Terre et d’Ingénierie de l’Imperial Collège de Londres, premier auteur de l’étude, ajoute : « L’ouverture du pont rocheux entre Douvres et Calais est incontestablement un des événements les plus importants de l’histoire britannique, ayant favorisé et favorisant même aujourd’hui notre identité de nation insulaire. Quand la période glaciaire prit fin et que le niveau de la mer s’éleva, inondant le Pas-de-Calais, la Grande Bretagne perdit son lien physique avec le continent. Sans cet événement catastrophique, la Grande Bretagne serait encore une partie de l’Europe continentale. C’est le Brexit 1.0 – le Brexit pour lequel personne n’a voté ».

Une chronologie à préciser

L’équipe ne peut pas encore préciser la chronologie des événements. Pour pouvoir le faire, les chercheurs souhaiteraient prélever des échantillons des sédiments remplissant les fosses Dangeard. Cependant, collecter des échantillons dans le Pas-de-Calais est un réel défi à cause de l’importance des marées mais aussi parce que c’est la région du globe où le trafic maritime est le plus important.

Crédits

Cette recherche a été dirigée par l’Imperial College London, en collaboration avec l’Observatoire royal de Belgique et l’université de Gand en Belgique, le CNRS et les universités de Lille et Ouest-Bretagne en France et Top-Hole Studies Ltd au Royaume-Uni.

Ce communiqué de presse, rédigé par Thierry Camelbeeck, est en partie basé sur celui rédigé par Colin Smith, Imperial College London.

Référence

Ces travaux de recherche font l’objet d’un article paru en ligne le 4 avril 2017 dans la revue Nature Communications sous le titre suivant : Gupta S. et al., « Two-stage opening of the Dover Strait and the origin of island Britain », Nat. Commun. 8, 15101 doi: 10.1038/ncomms15101 (2017). http://www.nature.com/articles/ncomms15101

Contact Observatoire royal de Belgique:
Prof. Dr. Thierry Camelbeeck (FR)
thierry.camelbeeck@oma.be
Tel. 02/3730252 ou 0483/744683

Dr. Kris Vanneste (NL)
kris.vanneste@oma.be
Tel. 02/3730280 ou 0473-499229

Contact Université de Gand:
Prof. Dr. Marc De Batist (NL)
Marc.DeBatist@UGent.be
Tel: 09-2644587 ou 0497-432434

David Garcia Moreno (EN)
David.GarciaMoreno@UGent.be