Histoire du Centre international des Marées terrestres (ICET)

« Les Schtroumpfs à l’Observatoire royal de Belgique »

Textes préparés par les Prof B.Ducarme, P.Pâquet et M.van Ruymbeke

Thème 1 – Introduction

Paul Melchior aimait les relations humaines. Lorsqu’il fut fait baron par le roi Baudouin en 1994 il choisit pour devise « In Omnibus Terris Amicus ». Il n’est pas étonnant qu’il se soit lié d’amitié avec le dessinateur Pierre Culliford, mieux connu sous le nom de « Peyo », qui habitait près de chez lui à Uccle. Ses relations personnelles avec « Peyo », ont débouché sur une initiative originale consistant à utiliser les personnages des Schtroumpfs pour illustrer l’actualité des recherches géodynamiques en cours. C’est à la fin de l’année 1966 que fut envoyée la première carte de vœux « schtroumpf » du « Centre International des Marées Terrestres », dont Paul Melchior était le responsable. De cette collaboration naquit une série de dix-huit cartes de vœux, à travers lesquelles les petits hommes bleus ont accompagné les membres de l’équipe de l’ORB dans toutes leurs démarches scientifiques. Dès le début nos petits Schtroumpfs ont manifesté un bel appétit pour la Géodynamique au grand dam du Grand Schtroumpf mais ils ont su aussi se reconvertir en élèves studieux des théories les plus pointues. Ils ont dû affronter le froid du grand Nord mais ils ont pu aussi se reposer sur des plages paradisiaques et visiter des pays exotiques.

Le programme de Recherche de Paul Melchior avait été clairement défini dès 1956 :

  • Établissement d’un réseau de stations permanentes pour l’enregistrement des phénomènes de Marée Terrestre ;
  • Développement de nouveaux instruments ultrasensibles ;
  • Développement des méthodes d’étalonnage de ces instruments;
  • Développement des méthodes d’analyse des enregistrements en mettant à profit le développement rapide des ordinateurs.
  • Etude des effets indirects des marées océaniques affectant les enregistrements.

Thème 2 – Les ondes de marées

En tout point de la Terre on peut exprimer la force de marée comme étant la différence entre l’attraction exercée par l’astre perturbateur en ce point et cette même force au centre de la Terre.

Les marées sont produites principalement par la Lune, pour deux tiers, et par le Soleil pour un tiers. A la pleine et à la nouvelle Lune les attractions des deux astres s’additionnent, tandis qu’elles se soustraient au premier et dernier quartier. L’amplitude de la marée varie donc d’un facteur trois. Sous l’action de la marée gravimétrique une masse d’une Tonne voit son poids varier de 0,25 gramme. La Terre étant élastique  se déforme et le sol peut se soulever de 50cm lors d’un maximum de marée.

Tidal waves - 1967-1968

Les ondes de marée se regroupent en trois familles, qui diffèrent par leur périodicité (longue période, diurne et semi-diurne) et leur répartition à la surface de la Terre (zonale, tessérale ou sectorielle) :

  • Les ondes à longue période ou zonales changent le moment d’inertie de la Terre autour de l’axe des pôles et font légèrement varier la durée du jour. L’onde lunaire principale appelée Mfa une période de 13,66 jours et l’onde solaire correspondante Ssa une période de 182,621 jours;
  • Les ondes diurnes ou tessérales produisent un couple qui tend à faire basculer l’équateur sur l’écliptique et génère la précession et les nutations de l’axe de la Terre dans l’espace. L’onde principale luni-solaire s’appelle K1 (23,93h) accompagnée de O1 (25,82h) pour la Lune et de P1 (24,07h) pour le Soleil ;
  • Les ondes semi-diurnes ou sectorielles provoquent un bourrelet équatorial qui freine la rotation de la Terre sur elle-même et augmente la durée du jour. Les ondes principales s’appellent M2 (12,42h) pour la Lune et S2 (12h) pour le Soleil.

A la côte belge les marées semi-diurnes sont largement dominantes ce qui explique pourquoi la marée haute retarde de 50 minutes par jour.

Thème 3 – Mesures

Les forces de marée astronomique modifient directement le vecteur de la pesanteur g en norme et en direction. Les changements de norme ou variations de la pesanteur g sont enregistrées par des gravimètres. Les forces de marée gravimétriques sont de l’ordre de 0.25×10-6 x g. Jusqu’au début des années septante les instruments les plus sensibles mesuraient les variations de longueur d’un ressort auquel est attaché une masse soumise aux variations de pesanteur avec une précision d’une part pour un milliard (10-9g) et une stabilité à long terme de 10-6g. Pour arriver à cette précision il faut réguler la température du gravimètre au centième de degré.  A l’heure actuelle les gravimètres à supraconductivité basés sur la lévitation d’une sphère supraconductrice placée dans le champ magnétique de deux aimants supraconducteurs atteignent des précisions et des stabilités cent fois meilleures.

Measurement campaign Spitsberg - 1969-1970

Les changements de direction de la force pesanteur sont appelées inclinaisons de la verticale. Elles sont enregistrées avec des pendules ou des niveaux à eau.

Les pendules Verbaandert-Melchior  ont une résolution 0.0001² et les phénomènes de marée clinométrique sont de l’ordre 0.050². Les meilleurs clinomètres à niveau d’eau ont une résolution cent fois meilleures.

Les forces de marée déforment la Terre élastique. Les mouvements verticaux (≤50cm) et horizontaux (≤10cm) du sol sont directement mesurables par les techniques de Géodésie spatiale. Par contre les variations relatives de distance entre deux points voisins de la croûte terrestre ne sont que de l’ordre de 0.05 part par million (5.10-8) de la longueur, soit 1µm pour 20m. On les mesure à l’aide d’extensomètres sur des bases d’une dizaine de mètres avec une précision de 0.1%. Verticalement les variations de distances atteignent 0,2µm entre deux points écartés de 3,5m.

Extensometer - 1971-1972

Ces deux derniers types d’instrument doivent être protégés contre les variations de température. Ils sont placées dans des galeries souterraines à au moins 100m de l’entrée et sous une couverture de plus de 50m de roche.

Extensometer 2 - 1974-1975

Thème 4 – Marées océaniques

Oceanic tides - 1980-1981
Les marées océaniques produisent des variations de pesanteur associées à l’attraction des masses d’eau déplacées d’une part et à la flexion de la croûte terrestre sous leur poids. Cet effet peut être important. Par exemple à l’extrémité des Cornouailles la croûte s’élève et s’abaisse de 10cm deux fois par jour. Comme les marées océaniques et terrestres se superposent dans le signal enregistré il faut évaluer numériquement les effets à partir des cartes cotidales.

Un premier modèle fiable a été développé en 1979 par E.W. Schwiderski. Ce n’est que 10 ans plus tard que les mesures d’altimétrie par satellite ont permis d’obtenir des modèles de marée océanique avec une précision de quelques centimètres.

Thème 5 – Modèles théoriques

Grâce à une approche métrologique originale mise au point par Michel van Ruymbeke, on a pu montrer que le facteur d’échelle de l’onde O1 devait être réduit de ~1 %.

Theoretical model - 1981-1982

Sur ces bases Paul Melchior a démontré  que les valeurs moyennes des facteurs de marée corrigés des effets océaniques étaient en excellent accord avec ce que prévoyaient les modèles. Pour la première fois le but de mesurer la réponse de la Terre aux forces de marée avec une précision de 0,1% de façon à pouvoir la comparer aux différents modèles théoriques a pu être atteinte.
New theory - 1985-1986

Thème 6 – Réseau de profil mondial

En 1970 J. T. Kuo du Lamont Doherty Geological Observatory (New York), séjourne à l’Observatoire royal de Belgique (ORB) pendant son année sabbatique. Une nouvelle ère débute ainsi pour l’équipe de Paul Melchior. En effet il apportait dans ses bagages trois gravimètres de nouvelle génération beaucoup plus précis et très faciles à installer. Cela ouvrait de nouvelles perspectives : la réalisation d’un réseau mondial de stations temporaires (TWP) où les paramètres de marée seraient connus avec une précision de un pour cent. En effet il n’était pas possible à cette époque de modéliser correctement les effets des marées océaniques, qui se superposent à la marée gravimétrique et empêchent de déterminer la réponse de la Terre, car aucun modèle fiable de la marée océanique à l’échelle de l’océan mondial n’existait encore. Le premier modèle global  fiable sera publié en 1980 par E. W. Schwiderski, pour le compte de l’US Naval Surface Weapons Center (Dahlgren, Virginia). C’est seulement à ce moment que nous avons pu utiliser une centaine de nos stations du TWP pour valider le nouveau modèle.

Entre 1970 et 1974 une vingtaine de stations ont été installées à travers l’Europe avec le matériel apporté par J.T.Kuo. Cela a permis à notre équipe de se former et de se préparer pour le TWP. Pour ce projet l’ORB a développé un équipement standardisé qui comprenait, outre le gravimètre et son unité de contrôle, un enregistreur potentiométrique et une horloge à quartz.

Si on ajoute du matériel auxiliaire tel que transformateur ou stabilisateur de tension, on arrive facilement à une centaine de kilo de matériel à transporter. Le choix des stations était primordial. Il fallait disposer d’une cave ou au minimum d’une pièce calme située au rez-de-chaussée dans laquelle les variations de températures soient les plus faibles possibles. Pour rentabiliser au maximum une mission on emportait au moins deux gravimètres. La plupart du temps le scientifique de l’ORB voyageait seul. En comptant une semaine pour l’installation du gravimètre et la formation du personnel local, une mission correspondait à un déplacement de trois semaines environ. Tenant compte de 6 mois d’observation sur place, on arrivait au rythme de deux missions par an. Nous avons pu déployer jusqu’à 8 gravimètres simultanément grâce à l’implication de plusieurs installateurs.  Ce sont par ordre d’intervention Paul Melchior, Bernard Ducarme, Michel van Ruymbeke, Christian Poitevin, Jean Rasson et Nicolas d’Oreye de Lantremange. C’est ainsi que 142 stations de marée gravimétrique ont été installées entre 1973 et 1992.

Word profile measurement Thailand - 1973-1974World profile China - 1979-1980Word profile Hawai - 1975-1976

Thème 7 – Livres et publications

La publication d’un Bulletin d’Information des Marées Terrestres (BIM)  fut d’amblée proposé par P.Melchior afin de permettre la circulation des résultats scientifiques dans la communauté en charge des marées terrestres. A ce jour 150 numéros du BIM ont été publiés soit plus de 12.000 pages d’articles scientifiques traitant des différents aspects de l’étude des marées terrestres.

Melchior as a professor - 1968-1969

Pendant une vingtaine d’année Anne-Marie Bary, l’épouse de Paul Melchior a traduit les articles écrits en Russe par nos collègues des pays de l’Est très actifs dans notre domaine.

Melchior's wife translating Russian books - 1970-1971

De plus la rédaction par Paul Melchior d’un traité sur l’étude des marées terrestres (The Tides of the Planet Earth)  restera l’une des publications majeures dans le domaine. Ce texte fondamental, qui aborde tous les aspects du problème, a été et demeure à ce jour une bible pour des générations de chercheurs.

Melchior's book - 1978-1979

Thème 8 – Station Doppler

La dernière décennie du vingtième siècle a vu deux avancées majeures pour l’étude des marées terrestres. La géodésie spatiale, qui permet de localiser un point à la surface de la Terre, est passée d’une précision de 50cm dans les années septante (réseau TraNet) à quelques centimètres à la fin du siècle (réseau GPS). Dès 1972 l’«US Navy » décida d’installer une station Doppler du réseau TraNet à l’ORB.

Doppler station TraNet - 1972-1973

Cette station restera opérationnelle jusqu’en 1996 mais entretemps l’ORB s’était déjà lancé dans l’observation des satellites du réseau GPS.

Thème 9 – Gravimètre supraconducteur et le noyau liquide de la Terre

Dès 1968 Prothero et Goodkind de l’Université de Californie réussissent à maintenir en lévitation une sphère supraconductrice de 2,54cm de diamètre. La supraconductivité de certains métaux est obtenue à des températures proches du zéro absolu (-273,15°C). En dessous d’une température critique (7,19°K pour le plomb) la résistance électrique tombe brutalement à zéro et un courant électrique peut circuler indéfiniment dans une bobine. On dispose ainsi d’un flux du champ électromagnétique parfaitement stable utilisable dans la lévitation de la sphère. Pour arriver à d’aussi basses températures il suffit de plonger l’instrument dans un bain d’hélium liquide à 4,2°K. L’intérieur du gravimètre est thermostatisé au  microkelvin (1µK = 10-6K) près autour de la température de 4,5K. Le premier SUPRA est arrivé à l’Observatoire royal de Belgique (ORB) en 1981. C’est l’évaporation progressive de l’hélium liquide contenu dans un réservoir (vase de Dewar) de 200 litres qui maintenait l’instrument à très basse température afin de garder les propriétés supraconductrices. L’hélium s’échappait à travers une chicane qu’il refroidissait, ce qui diminuait considérablement le taux d’évaporation. Pour compenser les pertes, on devait procéder à un remplissage toutes les trois semaines.

GWR gravimeter - 1982-1983

Ce SUPRA a fonctionné jusqu’en l’an 2000, mais dès 1995 un appareil de nouvelle génération a été installé dans la station souterraine de Membach où il est toujours en activité. Il fait partie d’un réseau mondial de stations qui échangent leurs données. C’est la constitution d’un réseau mondial de gravimètres à supraconductivité qui  a permis d’observer les variations de la pesanteur niveau du nanogal (@10-12 g).

Grâce à ces progrès techniques on a pu mesurer l’effet de résonance du noyau liquide de la Terre sur le spectre de marée en accord à 0,1% près avec les modèles théoriques développés par Véronique Dehant à l’ORB.

Earth core - 1966-1967

Thème 10 – Système d’acquisition de données digitales EDAS

Il a fallu attendre le début des années 1990 pour voir se généraliser un système d’acquisition de données digitales EDAS (Environmental Data Acquisition System). Avant cela lors du projet de profils mondiaux (TWP) l’enregistrement papier était la règle générale. La lecture de la position de la courbe d’enregistrement s’opérait à l’endroit des marques horaires permettant de connaitre la valeur des signaux en fonction de l’heure. On relevait les points de mesure grâce à une machine semi-automatique produisant un signal en volt en fonction du déplacement du microscope de pointage. On disposait ainsi d’une suite de valeurs horaires exprimées en mm, représentant les positions successives de la plume de l’enregistreur et donc les déplacements du bras du gravimètre sous l’effet des variations de la force pesanteur. Ensuite on les multipliait par le coefficient d’étalonnage exprimé en µgal/cm ou bien en nms-2/mm. Le traitement numérique de ces suites de nombre permettait de séparer les principales ondes de marée (Q1, O1, P1, K1, N2, M2, S2, K2) par une analyse harmonique de façon à les comparer directement au modèle astronomique.
Environmental Data Acquisition System- 1976-1977

Le modèle de marée océanique dû à E.W. Schwiderski permettait de calculer les effets d’attraction et de surcharge océanique L à l’aide de l’algorithme mis au point par W.E. Farrell.

Vers 1980 une Banque de Données s’est développée sous l’impulsion de Paul Melchior au sein du Centre International des Marées Terrestres (ICET). Son objectif consistait à regrouper toutes les observations de marée gravimétriques disponibles à travers le monde. Au début des années 1990, les données TEP/TWP représentaient environ la moitié des observations reprises dans la Banque de Données, qui contenait en effet les paramètres de marée dans 352 stations. Un premier problème était d’assurer l’homogénéité des résultats en vérifiant les calibrations utilisées. On s’est aperçu très rapidement qu’une erreur sur les paramètres de la station de base des TWP (Bruxelles) pouvait être suspectée (thème 5).

Thème 11 – L’anniversaire du « Centre international des Marées terrestres » (ICET)

20th anniversary ICET - 1977-1978
Paul Melchior a mis à profit l’élan de coopération internationale généré par l’Année Géophysique Internationale (1957-58). Un programme international d’étude des Marées Terrestres est lancé dans le cadre du « Comité Spécial pour l’Année Géophysique Internationale (CSAGI), groupe XIII (Gravimétrie), Commission pour l’étude des Marées Terrestres ». Dès 1956 un « Bulletin d’Information des Marées Terrestres (BIM)» est publié à l’Observatoire royal de Belgique (ORB) et en 1958 une structure permanente  y est créée sous le nom de « Centre International des Marées Terrestres »). Ce Service de l’Association Internationale de Géodésie (AIG) dont on célèbre le soixantième anniversaire restera à l’ORB jusqu’en 2008 et sera intimement mêlé aux activités de la section « Marées Terrestres-Gravimétrie » de cet Institut.
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