Journée internationale des femmes de sciences : interview avec Fabienne et Sabrina

Journée internationale des femmes de sciences : interview avec Fabienne et Sabrina


Le 11 février, c’est la journée internationale des femmes et filles de sciences, journée reconnue par l’UNESCO. Selon l’Institut de statistique de l’UNESCO, 33,3 % des scientifiques sont des femmes. Ce pourcentage est similaire celui des chercheuses de l’Observatoire royal de Belgique, qui est de 30 à 35 % de femmes au sein de son personnel scientifique. À cette occasion, nous donnons la parole à Fabienne Collin, sismologue, et Sabrina Bechet, physicienne du Soleil, qui vont nous partager leur expérience sur leur travail à l’Observatoire.

Dans quel domaine travailles-tu ?

Fabienne Collin : Je travaille en séismologie, l’étude des tremblements de terre qui se produisent en Belgique et à l’étranger.

Sabrina Bechet : Je travaille en physique solaire, plus précisément sur les observations solaires faites dans le domaine optique depuis la station d’Uccle USET à l’Observatoire royal de Belgique. Entre autres, des dessins des taches solaires y sont faits quotidiennement.

Quelle est l’importance de ce domaine ?

Fabienne_Collin

Photo de Fabienne Collin.

F. C. : Les connaissances que nous accumulons grâce à la séismologie permettent de mieux connaître le sous-sol et sa dynamique. Ce domaine est important pour caractériser les régions où des tremblements de terre peuvent avoir lieu. Cela permet de donner des paramètres importants pour fixer des normes de construction pour les œuvres d’art (barrages, centrales nucléaires, sites SEVESO), mais aussi les hôpitaux, les centres d’aide d’urgence, etc.

S. B. : Les taches sont des régions plus sombres que le reste de la surface du Soleil et représentent une manifestation directe du champ magnétique de surface. À Uccle, les dessins sont faits depuis 1940. Les dessins de taches solaires constituent une des plus anciennes collections de données dans le monde. On considère souvent que Galilée est un des premiers astronomes à avoir observé et dessiné les taches solaires, il existe donc des dessins des taches solaires depuis le 17e siècle. Ces observations permettent, entre autres, de comprendre l’évolution sur le long terme de l’activité magnétique du Soleil. Celle-ci se manifeste suivant un cycle de 11 ans, il faut donc plusieurs décennies pour pouvoir étudier plusieurs cycles, d’où l’importance d’observations sur le long terme. En plus de dessins, nous prenons des images du Soleil dans différentes longueurs d’onde.

Y a-t-il beaucoup de chercheuses dans ce domaine ?

F. C. : Dans ce domaine, il y a encore peu de chercheuses. Je suis la seule statutaire en Belgique.

S. B. : Dans le domaine de l’instrumentation et des observations à proprement parler, il y a encore une majorité d’hommes, avec quelques exceptions notables comme Hisako Koyama, une astronome japonaise du 20e siècle qui a observé les taches solaires pendant plus de quarante ans. Au niveau de l’exploitation des données et de l’analyse scientifique, on est assez proche de la parité.

Photo de Sabrina Bechet dans la salle de contrôle d’USET. Les écrans d’ordinateur montrent le soleil dans différentes longueurs d’onde.

Sur quels thèmes et questions de recherche travailles-tu ? Quelles sont les activités concrètes que tu fais ?

F. C. : Mon travail se répartit sur diverses tâches opérationnelles. Je suis entre autres responsable du réseau sismique belge c’est-à-dire que je veille à la maintenance des stations sismiques réparties sur l’entièreté du territoire. Je mesure les phases des téléséismes (tremblements de terre lointains) sur les signaux de nos stations et veille à ce que les bulletins ainsi constitués soient envoyés à temps à l’ISC (International Seismological Center). Cela fait plus d’un siècle que l’Observatoire remplit cette tâche. L’ISC recueille l’ensemble des phases mesurées dans le monde pour localiser avec le plus d’exactitude possible le foyer des séismes. Cela permet à de nombreux chercheurs et chercheuses dans le monde d’utiliser des données fiables pour leurs recherches, notamment sur la tomographie terrestre.
Concernant mes autres tâches, je veille à la préservation des archives de la séismologie (anciens sismogrammes, anciens documents techniques, etc.) et suis aussi disponible pour renseigner le public lors de tremblements de terre en Belgique ou à l’étranger, par téléphone ou par mail. J’anime des ateliers (présentation et manipulation d’instruments) lors de stages d’observation ou journées portes ouvertes à l’Observatoire.
Il arrive aussi que j’aille dans des écoles pour exposer aux élèves notre métier. En équipe, nous allons aussi sur le terrain pour poser des instruments de mesure temporaire dans le cadre d’une étude locale, quelle que soit la météo. Il vaut mieux être bien équipé et ne pas avoir peur de salir ses chaussures (et ses vêtements). Les tâches sur le terrain sont réparties suivant les compétences de chacun et chacune, et il m’est déjà arrivé de travailler avec une bêche. Pour ces différentes activités, que je sois homme ou femme n’a pas vraiment d’importance. Ce qui est important, c’est la rigueur, la patience, la disponibilité et le sens du contact humain.

S. B. : Les données des taches solaires enregistrées sur le long terme permettent de mieux comprendre l’activité magnétique du Soleil et de contraindre les modèles avancés qui expliquent la génération du champ magnétique d’un cycle à l’autre. De plus, les images permettent d’étudier différentes structures magnétiques présentes à la surface du Soleil. On peut ainsi faire des catalogues pour étudier statistiquement leurs propriétés.
Un autre thème de recherche dans lequel je suis impliquée est la connexion entre ce qu’on voit à la surface du Soleil et le flux mesuré pour les autres étoiles de type solaire. Pour ces dernières, on n’a pas de résolution de la surface et on essaie alors d’expliquer les variations de flux sur base des structures visibles à la surface du Soleil. Sur les images, nous pouvons également capturer des évènements transitoires comme des éruptions solaires, il s’agit de régions localisées qui deviennent intensément brillantes pendant quelques minutes. Elles sont le lieu de libération d’énergie magnétique qui peut chauffer l’atmosphère solaire à plusieurs millions de degrés (voir figure ci-dessous).
En pratique, une part de mon travail comprend l’instrumentation, sa maintenance et sa modernisation, et le développement informatique de la chaîne de traitement des données. Une autre part comprend l’exploitation scientifique des données, notamment le développement d’algorithmes de traitement d’images pour calibrer les images ou détecter automatiquement certaines structures. Il y a donc une grande diversité de tâches dans mon travail.

Trois images du Soleil en jaune (à gauche), orange (au centre) et violet (à droite).

Images du soleil prises le 06/09/2017 dans différentes longueurs d’onde. Sur les deux figures de droite on voit deux rubans brillants correspondant à une éruption solaire. Crédits: USET/SIDC/ORB-KSB.

Quelles collaborations as-tu à ce propos (à l’Observatoire ou en dehors) ?

F. C. : Pour la maintenance des stations sismiques, j’ai trois collaborateurs sur lesquels je peux compter. Au niveau international, nous sommes liés à l’ISC.

S. B. : À l’Observatoire, il y a une équipe de plusieurs personnes impliquées dans l’observation du Soleil, avec des profils très variés et complémentaires, qui vont du très technique au très scientifique. Au niveau international, il y a une quinzaine d’instituts qui font des observations avec le même genre d’instruments et avec qui nous collaborons. Il est important d’avoir des observatoires à différentes longitudes de manière à éviter les interruptions d’observation due au cycle jour-nuit. Ces observatoires se situent donc parfois à l’autre bout du monde.

Quelle est ta motivation, qu’est-ce qui t’attire dans cette activité ?

F. C. : Lorsque j’ai dû m’orienter professionnellement, le tremblement de terre de Liège venait d’avoir lieu. Dans les années précédentes, quelques tremblements de Terre destructeurs avaient eu lieu dans le monde. Il me semblait important de comprendre mieux ces phénomènes pour pouvoir « sauver » des vies. Au fil des années, j’ai beaucoup appris sur la physique du globe, les séismes et leur caractère imprévisible. Aujourd’hui, je fais de mon mieux pour transmettre ces connaissances aux autres. À travers mon travail de mesures, je reste motivée en sachant que cela permet à d’autres de faire avancer les choses.

S. B. : Je trouve qu’observer le Soleil est une source continue d’émerveillement, tant la diversité des phénomènes visibles à sa surface est grande. De manière plus générale, le physique solaire est un domaine très actif avec de nombreuses questions ouvertes et de nouvelles observations qui petit à petit apportent leur lot de réponses.

Qu’est-ce que tu aimes dans ton travail ?

F. C. : Dans mon travail, j’aime l’esprit d’équipe, l’entraide entre collègues et les échanges d’idées. J’aime toujours apprendre et transmettre au public ce que je connais.

S. B. : J’aime la variété des tâches et le fait qu’on puisse travailler sur les différents aspects des observations depuis l’acquisition des données jusqu’à leur exploitation. Cela permet d’avoir une vue globale sur ce qui se passe.

Si tu avais une baguette magique, qu’est-ce que tu changerais dans ton travail ?

F. C. : C’est une très bonne question. Je n’ai jamais joué avec des baguettes magiques. J’aimerais avoir un cadre de travail encore plus top. Nous nous trouvons sur le plateau d’Uccle, un havre de verdure et de calme. Seulement, les locaux dans lesquels nous nous trouvons sont vétustes. Un peu plus de « confort » thermique, d’accessibilité, d’organisation de stockage et d’ordre me seraient très agréables. Pour le reste, j’ai des collègues très sympathiques, j’organise mon travail selon ma convenance en restant réactive dans les cas d’urgence.

S. B. : Comme tout travail, il y a des aspects moins drôles, mais qui sont nécessaires. Pour moi, ce serait d’avoir moins de tâches administratives.